Le Sud prend le large
Petit retour en arrière, mi-février, lorsque l’on parcourait les Alpilles à la recherche d’emplacements qui allaient permettre à nos abeilles de profiter d’une belle floraison du romarin. La rumeur disait qu’avec un hiver si marqué les buissons n’avaient que très peu débuté à fleurir et que les abeilles pourraient pleinement en profiter. C’est donc avec une certaine excitation que nous avons fait la 1ère transhumance de l’année le 25 février. Plutôt facile celle-ci puisque les corps des ruches ne sont pas encore bien pleins, elle nous a permis de nous remettre en jambe.
Quel spectacle le lendemain matin ! Au milieu d’un champ d’oliviers, à quelques mètres des amandiers en fleurs et des buissons de romarin en début de floraison, les abeilles bourdonnaient de plaisir sous un soleil radieux. Nous, on était forcément très contents de leur offrir de telles ressources 😌. Au cours des 6 semaines qui ont suivi, le développement s’est accéléré de manière fulgurante grâce à des rentrées très abondantes de nectar et de pollen. L’objectif n’était pas spécialement de leur faire produire du miel, mais plutôt d’aider les essaims d’août 2020 à occuper les 10 cadres et d’en créer de nouveaux avec de jeunes reines. On a eu peur quand même puisque le mistral est venu jouer les trouble-fêtes pendant une dizaine de jours en renversant des ruches, en soulevant des toits, et rendant toute sortie des abeilles quasi impossible. Ce petit contretemps n’était en fait pas bien méchant par rapport à celui subit par nos colonies restées autour de Lyon.
En Rhône-Alpes ça ne décolle pas…
…et l’ambiance est fantomatique. De loin, on distingue tout juste les ruches comme flottant au milieu de la grisaille et lorsque l’on s’approche c’est le calme absolu sur les planches d’envol. Pas un vrombissement, pas un quadrimoteur pour percer la brume, et la quantité de boue qui s’accumule sous nos chaussures nous fait bien vite regretter cette « visite ». À défaut de pouvoir ouvrir les ruches, on se contente de surveiller la consommation du bloc du sucre (le candi) posé au-dessus du corps de la ruche. Les abeilles y accèdent directement depuis leurs cadres par un trou prévu à cet effet dans la plaque en bois supérieure. On soulève donc le toit et … « Ah, il n’y a vraiment aucune activité. Rien à voir avec le Sud où nous étions hier… croisons les doigts. » On profite aussi de cette intervention pour réaliser un dernier traitement contre le varroa et libérer les abeilles de ce fléau avant le début de la saison. On utilise l’acide oxalique qui est un produit naturel.
Il faudra attendre le 1er mars pour voir le soleil briller et la température grimper jusqu’à 15-16 degrés. Le rucher vrombit de dizaines de milliers d’abeilles ravies de retrouver leur liberté, les rayons du soleil, et une légère brise. Elles ne perdent pas une minute pour se mettre au travail, certaines nettoient le fond de la ruche, d’autres vont chercher de l’eau, et les dernières rapportent déjà du pollen ! Elles le trouvent sur les noisetiers et les premiers arbres fruitiers en fleurs (pruneliers principalement). Ces premières pelotes de pollen, accrochées à leurs pattes arrière, signifient que les abeilles d’intérieur préparent de la bouillie larvaire. Ce qui veut dire que la reine s’est mise à pondre et que des larves ont besoin d’être nourries avant de devenir de nouvelles abeilles après quelques jours. La consommation des provisions va exploser et les ressources mellifères disponibles ne suivent pas. Le complément non touché le 5 février dernier est quasiment terminé, par précaution on le complète jusqu’à ce que les fleurs prennent totalement le relais.
On a bien fait puisque la neige fait son retour le 15 mars ! Et comme si ce n’était suffisant, une belle vague de froid est annoncée. On ouvre donc en catastrophe les ruches pour resserrer autant que possible le couvain entre des partitions réfléchissantes. Pour prendre notre mal en patience on se réfugie au Sud, en bord de mer, pour donner un coup de main aux collègues. Au programme : récolte de quelques 300 reines, créations de 800 unités d’élevage de reine, créations d’essaims, et dégustation dans les cadres de miel de bruyère blanche. Et ça, c’est incomparable en termes d’expérience gustative !
Retour en Rhône-Alpes, ça caille toujours autant, c’est déprimant. Allons faire une dernière sortie de ski à la place.
Quand les conditions climatiques deviennent inquiétantes
Dans les Alpilles, mis à part le vent, tout va pour le mieux. En Rhône-Alpes, c’est tendu, très tendu. Depuis le 15 mars, les belles journées se comptent sur les doigts d’une main. On visite des ruchers « éteints » dans un froid glacial, sous la pluie, ou encore le vent.
« Elles vont manquer de provisions si ça continue…
– Le colza commence à fleurir et elles ne peuvent même pas sortir en profiter, c’est grave là.
– Combien de pertes sur ce rucher ?
– 20%.
– Ah…c’est beaucoup ça quand même.
– On les retire des posages, on ouvre, et on nettoie.
– C’est vide en fait, mais il reste énormément de provisions…tu sais de quoi ça vient ?
– Effets composés du frelon asiatique et de l’automne 2020 exécrable, elles n’ont pas réussi à faire de jeunes abeilles.
– Au fait, on a déjà posé les pièges ?
– Oui. »
Et il faudra attendre mi-avril pour assister à un renversement climatique salvateur. Bien que le mercure frise avec le zéro chaque nuit, il atteint 15-16 degrés dans la journée et on assiste à un réveil massif des colonies. Ça tourbillonne, ça vrombit, et le corps des ruches commence à chauffer fortement avec la reprise de l’élevage.
Le colza est incroyable pour booster les colonies en début de saison. Nos balances nous indique qu’il rentre chaque jour entre 2 et 4 kg de nectar par ruche ! Les jeunes abeilles s’en servent pour préparer la nourriture larvaire qu’elles distribuent ensuite aux larves dans des proportions et une composition très précises selon l’âge de la larve. Cette dernière peut recevoir jusqu’à 1100 repas maximum et être inspecter 7000 fois pour s’assurer qu’elle ne manque de rien. De telles arrivées de nectar stimulent aussi très fortement les glandes cirières des jeunes abeilles qui se mettent alors à bâtir les rayons non construits. Cette cire fraîche est caractérisée par sa blancheur, on la repère facilement dans le corps de la ruche.
On a eu le nez creux puisque le 15 avril on a déplacé nos ruches des Alpilles vers la région lyonnaise, au milieu de 35 hectares de colza. La magie s’est opérée instantanément. Depuis leur arrivée, elles vont tellement bien qu’on peut se permettre de prélever des cadres clés pour renforcer leurs sœurs restées sur place l’hiver dernier.
L’équipe Confidences d’Abeilles 🌺🐝